Je ne suis certainement pas ennemi du progrès.
Ceux qui me connaissent savent que je suis propriétaire d'un nombre considérable (si pas excessif...) d'appareils électroniques de tout genre: depuis l'ordinateur classique en passant par l'ordinateur portable, pour passer au PDA et au GPS, sans oublier le téléphone portable.

La marche du progrès ne s'arrête jamais: je lis aujourd'hui un article dans La Nación (Buenos Aires) qui m'apprend qu'on lance les premiers journaux numériques portables. Comble de l'ironie, le premier essai se fait en Belgique et je l'ignorais.

Le but avoué de ce nouveau gadget est de remplacer le bon vieux journal papier avec comme argument imparable l'écologie. Fini en effet de couper à blanc les forêts de notre belle planète. Il doit aussi permettre aux éditeurs de contenir les coûts de distribution trop élevés des exemplaires papiers, alors même que le nombre de lecteurs diminue régulièrement dans de nombreux pays occidentaux.
Soyons clairs: en Europe en tout cas, le papier est produit à partir de forêts gérées écologiquement, tous les arbres coupés sont replantés et la part du recyclage est chaque jour plus importante.

Les implications de ce genre d'appareil sont multiples pour le lecteur traditionnel:

1) Il faudra acheter, fort cher au début, un nouvel appareil, lequel sera, bien sûr, obsolète dans un délai optimiste de 2 ou 3 ans. Passé ce délai, il ne sera plus que le témoin d'une technologie totalement dépassée et incapable d'accueillir les nouveaux standards qui, n'en doutons pas, seront apparus pendant ces quelques mois.
Il faudra donc repasser à la caisse et acheter la nouvelle version.

2) N'oublions pas les petits aléas de la vie courante qui exposeront votre précieux journal électronique aux chutes, à la pluie, au vol, aux oublis, aux tasses de café renversées, aux morsures de chiens etc.

3) Je ne sais pas ce qu'il en est pour le lecteur, mais certains jours, je sors de chez moi avec tant d'appareils en poche que je trouve cela grotesque.
Faites donc l'expérience, comptez vous-même ce que vous emportez.
J'ai dans ma voiture, qui est un peu mon bureau, 3 câbles différents pour recharger: 2 PDA différents, dont un est un GPS, plus mon portable (cellulaire). Vous emporterez donc un appareil de plus. Bonne chance.

4) Mais tout ceci n'est rien à côté des aspects typiquement informatiques et légaux:
Comme lors de l'installation de votre ordinateur, vous serez obligés de jurer, sous la foi du serment, que vous êtes d'accord de respecter les 20 pages de conditions, obligations et mises en garde concernant l'appareil lui-même, les licences du système qu'il contient, du programme de lecture, etc.
Vous serez une fois de plus menacé de toutes les rigueurs de la loi généralement américaine ou directement inspirée de celle-ci.
Il vous sera STRICTEMENT prohibé de copier les pages du journal du jour, défendu aussi de même les prêter à un ami, d'en faire profiter votre famille sans avoir payé une autre licence. Si vous êtes un gentil client, on vous proposera peut-être une licence familiale afin que chaque membre de votre famille puisse lire le journal du jour en toute légalité, moyennant un léger supplément, cela va sans dire.

Bien entendu, le système vous enverra aussi, sans défaillance, de nombreuses publicités

5) Enfin, il est à craindre que le contenu de votre précieuse merveille technologique ne soit en sursis permanent.
La page du jour sera consultable 24 heures, peut-être un peu plus, et puis disparaîtra inexorablement.
Mais les plus acharnés d'entre vous réussiront au prix d'efforts héroïques à connecter l'appareil à leur PC et de là, grâce à un logiciel un peu hors-la-loi, à sauvegarder le contenu.
En y réfléchissant bien, je conserve déjà régulièrement des articles de journaux lus sur Internet, certains gratuits d'autres payants. Je consulte Clarin ou La Nación, sauvegarde les articles qui m'intéressent le plus, je peux même dans Le Soir ou La Libre Belgique enregistrer l'édition entière du jour en format PDF, pour le prix de l'édition papier.

Vous me direz que mon bon vieux papier-journal est également en danger, l'humidité et les souris font des ravages. Malgré cela nous avons tous chez nous des collections de vieux journaux qui vieillissen assez bien.

En conclusion, nous nous trouvons là devant le prototype de la nouveauté inutile, chère, peu pratique, contraignante même, qui nous rapprochera encore un peu plus de 1984, les éditeurs sauront en effet tout ce que vous lisez... ils pourront établir ainsi votre profil de lecteur.